Émile descendit du train, il allongea le pas car il avait hâte de rejoindre ses pénates. Il savait qu'au bout du chemin de terre, son chien, un bâtard, l'attendait déjà. Le corniaud devinait chaque fois son retour, et tous deux regagnaient la ferme, heureux de se revoir. Comme à son habitude, la mère l'attendait sur le seuil de la porte, sourire aux lèvres, larme à l’œil, et bras tendus. Elle le serra si fort, qu'un voile de poussière fine envahit la pièce. Dans sa chambre, il échangea ses vêtements poussiéreux, contre sa blouse blanche de peintre, prit son chevalet, sa boîte de couleurs et se dirigea vers les champs de labour. Il installa son chevalet, la palette et, pinceaux en mains, reprit l'exécution de son tableau resté en suspens.
C'était le moment
des semailles et des labours, une paire de bœufs aux longues cornes, d’une
tonne de muscles, tirait une charrue rouillée laissant de larges et profonds
sillons. Le paysan guidait l’attelage de la voix en maintenant fermement les
bêtes et les poignées de l'araire. Le laboureur d'une main agita son vieux
chapeau auvergnat en signe de bienvenue, en continuant son labeur.
Émile avait
un beau coup de pinceau et maîtrisait parfaitement l'ombre et la lumière. La
gouache se mélangeait mystérieusement sous son pinceau, et donnait vie à cette
paire de bœufs en plein effort. Par un mélange de couleurs subtilement dosées,
il étirait la matière de cette terre rouge et volcanique du Velay, en peignant
des raies parfaites. Au moment des récoltes, la même paire de bœufs tracterait
un char couleur sang de bœuf, chargé de gerbes de blés dorés, prêtes à être
engrangées. La fête de la moisson battrait son plein, quand le piquet
dépasserait du faîtage des pignons et des meules de foin, dressés dans les
champs fauchés. Le clou de la fête, serait le mât de Cocagne entièrement
savonné, où flotterait le drapeau tricolore. Au sommet pendraient
cochonnailles, et chopines de vin rouge, attendant d'être gagnées par qui
parviendrait à les atteindre. Au son de l'accordéon et de la cabrette, les
garçons danseraient la bourrée avec leurs Païses, et le claquement de leurs
esclops battrait la mesure.
L'image de son futur tableau était dans sa tête,
mais pour l'instant il peignait la silhouette de ce rude paysan, aux énormes
moustaches et au galure à larges bords vissé sur sa caboche. Au loin il
entendit l'angélus, plus question de peinture, de fête, il plia son chevalet,
referma la boîte à couleurs, lança un dernier regard à l'attelage, et retourna
à la maïsou. Dans sa chambrette ses vêtements propres, repassés et pliés sur
son lit l'attendaient, prêts à être endossés. Sa mamé sans voix, le regarda
sortir de la pièce, et tous deux se dirigèrent à pied à la gare accompagnés du
chien. Sur le quai, il embrassa sa mère avec une telle force qu'elle en eut mal à
la poitrine, fit une caresse à son fidèle compagnon, et monta dans le wagon.
Dans le regard sombre d’Émile, elle lut et sut, que le tableau resterait à
jamais inachevé. Il chercha une place dans le compartiment bondé, déposa à ses
pieds son fusil, son paquetage, et fit un geste d'adieu à sa maïre en pleurs,
et à sa Haute-Bique natale. Sous un panache de vapeur blanche et fumée noire de
charbon, le Tchou Tchou infernal de la locomotive le ramenait en enfer, au
front avec ses camarades de tranchées.
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http://www.edilivre.com/contes-de-l-obscur-209f089a77.html#.U3G3mMuKCUl et dans la la revue n°51 2000Regards
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