Pages

samedi 30 septembre 2017



MADELEİNE



      Assise devant son bureau américain, Madeleine écrivait sa 1460° lettre à son correspondant incarcéré depuis vingt ans, qu’elle n’avait jamais vu. En plus de toutes ses autres activités caritatives, depuis quatre ans, elle écrivait une lettre par jour à ce prisonnier, cela comblait sa vie de femme solitaire et de retraitée. Madeleine avait soixante ans, c’était une femme serviable, croyante, toujours prête à aider son prochain dans la souffrance physique ou morale. Le cœur sur la main et dévouée à toute personne sollicitant son aide et son soutien. Par la lecture journalière de ses lettres, elle donnait de la chaleur humaine à ce captif, lui permettant de tenir et de survivre dans l’enfer de la prison.
Depuis un mois les lettres de son correspondant étaient plus intimes, plus passionnées, il lui parlait même d’amour, de la joie et du bonheur qu’il aurait de la voir à sa sortie de prison. La distance étant trop grande, Madeleine s'installa dans un meublé près du lieu de son incarcération voulant être présente le jour de sa libération. Elle lui en fit part en ajoutant, qu’elle avait des sentiments pour lui, mais cela était encore confus pour elle dans sa tête et son cœur.
       Il était dans ses pensées à chaque instant du jour et de la nuit et chaque fois qu’elle évoquait son nom, son cœur atrophié s’affolait. Elle ressentait une douleur aiguë dans la poitrine et le souffle lui manquait. Ses amies se moquaient d’elle et lui disaient qu’elle était amoureuse comme une collégienne. Cela la faisait rire, elle ne voulait pas se projeter dans l’avenir, vivre son présent était son but dans la vie. Elle laissa son passé derrière elle, son ancien appartement, quitta ses amies, sa ville de toujours et emménagea dans un joli petit meublé coquet, qu’elle décora avec goût à dix minutes de la maison d’arrêt.
       Dans ses confidences, il lui avouait sa condamnation à vingt ans de prison suite à un braquage raté avec mort d’homme. Maintenant c’était de l’histoire ancienne ils regarderaient ensemble dans la même direction, l'avenir et la liberté. Madeleine ne voulait plus vivre dans le passé, le sien lui faisait horreur, l’avait empêché de refaire sa vie, d’être tout simplement vivante et heureuse.
      À sa sortie de prison, elle serait là, c'était une promesse. La remise en liberté approchant, l'angoisse la submergeait, elle avait changé son apparence, teint ses cheveux blancs en châtain, perdue quinze kg pour lui plaire. Elle, qui ne l'avait jamais fait auparavant maintenant ne sortait jamais sans maquillage, elle était méconnaissable. De vieille femme effacée, elle était devenue une dame d’âge mûr rayonnante de sa beauté retrouvée. Madeleine avait rajeunie de dix ans et à nouveau les hommes se retournaient sur son passage. Elle lui avait envoyé sa photo avec son nouveau physique et lui avait plu avec sa silhouette élancé et son beau sourire aux dents éclatantes. La date venue, elle était là devant les hautes portes closes de la centrale, attendant impatiente et nerveuse sa libération.
     À l’ouverture du porche, un homme grand et vieilli avant l'âge sortit, elle lui prit la main en souriant et sans une parole ils s’engouffrèrent dans un taxi. Il la suivit comme un enfant jusqu'à l'appartement douillé qu'elle avait préparé pour lui, où un repas fin les attendaient, avec le champagne au frais.
      L'homme voulut l'embrasser, Madeleine dit qu'ils avaient tous le temps, elle croisa son bras avec le sien, portant à leurs lèvres les coupes de champagne. Il but le champagne d'un seul trait et sentit la chaleur courir dans ses veines puis sourit bêtement, ses jambes flageolaient déjà et il chercha une chaise pour s'asseoir. Sa vue se troubla, sur sa figure une expression de surprise se figea, il ne comprenait pas son malaise et regarda Madeleine interrogateur. De sa bouche grimaçante, sa langue pâteuse et noire laissait dégouliner un filet de salive mousseuse à la commissure de ses lèvres. Sur sa chaise, ses jambes et ses bras pendants lui donnaient l'air d'un pantin désarticulé, dont on aurait coupé les ficelles. Assise en face de lui sourire aux lèvres, calme et détendue, Madeleine le regarda d'une façon étrange. Elle commença à parler calmement d'une voix claire et douce en sirotant son champagne.
       Il y a vingt ans, sortant de la bijouterie pistolet au poing après son holdup manqué, dans sa fuite il avait tiré, une balle perdue avait tué un passant, la victime était son mari. Madeleine hospitalisée avait perdu l'enfant qu'elle attendait, depuis les battements de son cœur atrophié se réduisaient comme une peau de chagrin. Seul le souvenir de sa famille et sa soif de vengeance l'avait tenue en vie. Madeleine, calmement, consciencieusement prit des photos de tous les instants de sa lente agonie, des trophées de chasse pour orner les murs de sa nouvelle maison à la campagne. Une joie immense la submergea de le voir rendre l'âme et son cœur malade et fatigué lui fit mal de bonheur.
      Elle se rendit dans la salle de bain et en ressortie métamorphosée une heure plus tard. Personne ne fit attention à cette silhouette furtive qui sortit de l'immeuble et qui se dirigea vers la gare en boitillant, vêtue d'un vieux costume démodé et bien trop large pour elle
     À l’arrêt du train, un vieil homme voûté, les cheveux blancs coupés cours, une canne dans la main descendit péniblement sur le quai de la gare. Il marchait courbé comme s' il portait sur son dos toute la souffrance du monde.
      Il entra dans la maison, referma la porte derrière lui et se regarda dans le grand miroir du salon. Une à une il sortit des photos de sa poche et les coinça entre l'interstice de la glace et du cadre. D'un coup, il sentit une grande lassitude et les battement de cœur se ralentir.
      Il sourit au reflet de l'inconnu du miroir, il pensa à la stupéfaction de la personne qui le trouverait mort, en voyant qu'il n'était pas un homme, mais une femme.
Sous ce simulacre « Monsieur Madeleine » allait pouvoir finir ses jours dans le calme et la sérénité, en échappant à sa condamnation à la prison à vie pour assassinat.
     Avec interruption des ses médicaments, il savait ses jours comptés, mais plus vite son cœur défaillant arrêterait de battre et plus vite il serait débarrassé de sa souffrance et irait rejoindre sa famille.
          Ce meurtre était le seul but de sa vie depuis vingt ans, maintenant il attendait sa fin pour mettre un point final à l'histoire tragique de sa vie et redevenir
« feu Madame Madeleine ».




           Retrouvez cette nouvelle dans mon recueil "A L'ABRI DES REGARDS"
 http://www.edilivre.com/a-l-abri-des-regards-20a5b6563a.html#.U6rxasuKCUk
    Caro Diario  



La Fiat 500. 1968



         


          La première fois que je l’ai vue en Italie,
J’ai eu un vrai coup de cœur pour cette petite voiture décapotable.
Et là, je me suis dit, c'est celle là que je veux et pas une autre.
Mon seul but était d'en posséder une.
Alors, je faisais le service de midi tous les dimanches au restaurant de maman,
Et parfois, quand je n’avais pas école la semaine.
Maman, pour me récompenser de l'aider et de m'occuper de grand-père,
M’avait promis de m'en acheter une d’occasion.
Garée devant le café, elle était là, qui m'attendait, devant mes yeux, ma Fiat 500 à moi.
                Elle avait triste mine, sa peinture blanche était toute écaillée, et son moteur avait des ratés.
 Mes amis garçons, qui travaillaient dans le garage Fiat à côté du café,
 Mirent tout en œuvre pour la remettre en état de marche.
De blanche, elle est devenue jaune, et son moteur ronronnait comme un félin.
Dans cette petite voiture, je me sentais quelqu'un et je ne passais pas inaperçue.
Elle faisait partie de moi et de mon amour de l'Italie.
             Quand je prenais de l’essence, les pompistes cherchaient toujours le réservoir à l'arrière,
                 Ce qui me faisait rire chaque fois, car il était dans le coffre devant et personne ne le savait.
Je roulais presque toute l'année la capote ouverte.
J'avais réalisé mon rêve, avoir une Fiat Cinque Cento,
Et j'en ai eu une autre, verte, par la suite.
Même avec les années passant, rien n’a changé pour moi.
Avec la réédition de la Fiat 500 cette année,
J'ai toujours le manque de cette voiture
Et j’ai une envie folle de l'avoir dans sa nouvelle version décapotable.

Je le veux, je la veux.







Retrouvez cette nouvelle dans "Des Mots pour mes Maux et souvenirs"



LE MOLOSSE


     

      Toutes les nuits, Isaure arpentait le bas-côté de la route, plantée sur de hauts talons que soutenaient des jambes maigres et flageolantes.    Vêtue d'un mini-short porté sur des bas filés aux genoux et surmonté d'un blouson de cuir rouge, elle attendait le client.
      Elle frissonnait en faisant les cent pas en frottant ses bras douloureux l'un contre l'autre pour se réchauffer. Elle sursautait à chaque parole venue de la lisière du bois, émanant de la voix dure et menaçante de son souteneur. Malgré les marques sur son visage, on pouvait deviner qu'elle était une toute jeune fille apeurée et paumée.    
     Après chaque passe, elle reprenait sa place d'un pas mal assuré et déséquilibré. Le froid, la pluie, la drogue et les coups avaient fait d'elle, une loque humaine docile et soumise. Ses forces, son courage et son envie de sortir du bois l'avaient abandonnée.
      Ses appels au secours restaient bloqués au fond de sa gorge, et tout espoir s'était évanoui en elle. Elle s'était résignée à son sort et souhaitait la mort pour la délivrer de l'enfer du bois et de ses injections quotidiennes. Elle guettait un camion, une voiture roulant à vive allure pour se jeter sous les roues, mais il n'y avait que des véhicules lents roulant au pas et des chauffeurs choisissant des filles.
     Tous les soirs un énorme chien au large collier, traînant sa laisse sur le sol venait renifler les odeurs subtiles de l'arbre où elle s'abritait, et y lever la patte. Il était énorme et menaçant, et elle était sur son territoire, appuyée à son urinoir.
     À force de se protéger sous les branches du chêne, l'odeur tenace de l'urine du chien imprégnait à plein nez ses vêtements. De la poche de son blouson, elle sortait un sucre, aussitôt englouti et remercié par un coup de patte et une grande léchouille dégoulinant de bave. Elle le regardait partir en trottinant, et disparaître dans la nuit. Il avait faussé compagnie à son maître, sa seule attache était cette corde dont il n'arrivait pas à se défaire.
      Elle vivait un début de nuit angoissant et le gel raréfiait les clients ; même son souteneur s'était replié dans le bois, bien au chaud dans le fourgon, et jouait au poker avec ses acolytes. Ses jambes étaient bleuies de froid. Bras croisés contre sa poitrine pour se protéger du vent, elle attendait la relève.
      Vers minuit, Isaure vit arriver le clébard comme à son habitude traînant son entrave, trottinant la queue en l'air, content de la voir et de lever la patte. Dans un geste de compassion, elle prit l'attache dans sa main pour la détortiller. Le chien content de jouer, tourna autour d'elle plusieurs fois, nouant la longe autour de son poignet. Soudain, il fit de grands bonds en avant, entraînant la pauvre fille attachée au bout de la laisse.
    Sous le coup de la surprise, elle ne poussa pas un seul cri, et n’essaya même pas de dénouer la corde de son bras. Elle rythma sa foulée sur les embardées du chien, elle sentit la chaleur revenir dans ses membres et n'avait plus froid. Elle s'attendait à être poursuivie, mais rien, personne, sauf un chat terrifié qui s'enfuit en les voyant passer.
     En arrivant en ville, le chien fit une pause pipi et leva la patte contre une poubelle sur laquelle, un carton de chaussures, chapeaux et vieux vêtements était déposé. Rapidement du fond du carton, elle ressortit une paire de bottes, un manteau et un bibi qu'elle s’empressa de se mettre sur le dos.
    Sans aucun regret et avec dégoût, Isaure y déposa ses hauts talons, son blouson de cuir rouge, heureuse de ne plus avoir à les porter. Emmitouflée dans ce manteau trop grand pour elle, bottée et chapeautée, elle parcourait les rues et les trottoirs, suivant aveuglément le dogue avec confiance. Il avait un circuit bien à lui, avec des arrêts programmés, pause pipi, pause caca, et halte devant certaines poubelles aux odeurs alléchantes de pizza et spaghetti.
     Le chien évitait consciencieusement certaines rues et trottoirs où il se savait indésirable. Ils marchaient depuis des heures. Soudain au fond d'une impasse sombre, le chien l'entraîna dans un vieux réduit.
    Elle comprit que c’était la tanière du fauve, son gardien et son nouveau protecteur. Ils s'endormirent blottis l'un contre l'autre. L'odeur de l'haleine et des pets du chien mêlée à son parfum bon marché ne la gênait pas, et pour la première fois depuis des mois, elle pouvait s'assoupir en toute sécurité.
      Personne jamais ne lui avait tendu la main, il fallut attendre que ce soit un chien qui lui tende la patte. Une nouvelle vie commençait pour elle, il l'avait choisie et la protégerait. Demain, devant les passants et les grands magasins, ils solliciteraient ensemble la petite pièce, pour améliorer leur quotidien et aller vers leur destin.




Retrouvez cette nouvelle dans Contes de L'Obscur.











LES FEUILLES MORTES



              
         Du haut de ses quatorze ans Cléa avait tout d'une grande, un mètre soixante-dix, cheveux blonds, et de grands yeux bleus, mais sous cette fausse apparence, elle n'était qu'une enfant.
      Fille unique, adorée par sa mère et bien-aimée de son beau-père, elle avait tout pour être heureuse.
      Ils formaient une famille modèle et unie, que rien ne pouvait séparer. Couverte de cadeaux, toujours à la mode, des vacances au bout du monde, rendant vertes de jalousie ses amies. Elle ne riait jamais, seul un petit sourire timide de temps en temps au coin des lèvres, lui donnait un l'air sympathique.
      Comme chaque matin, elle partait au collège en longeant la forêt, mais aujourd'hui elle ignora l'entrée de l'établissement et pénétra dans le massif forestier, par un petit sentier de chèvres.
Cléa marchait à grandes enjambées et à chacun de ses pas, un craquement s'échappait sous ses converses gris perle, nouées par de gros nœuds aux lacets blancs. Le sous-bois s'était paré des couleurs chatoyantes de l'automne, les brindilles mortes et les feuilles desséchées en tapissaient le sol.
      De ses poches, elle sortait de petits bonbons rouges au goût de fraise tagada, qu'elle suçait lentement. Comme une petite fille gourmande, elle retardait le moment de les déglutir, pour décupler la durée du plaisir du sirop coulant dans sa gorge.
     Sa langue humidifiait ses lèvres, leur donnant la teinte rouge baiser. Sa large capuche bordée de fourrure, dissimulait un visage juvénile aux yeux rougis, et pleins de larmes. Elle marchait depuis des heures dans cette vaste étendue, sans pause ni un seul regard pour la beauté du paysage, aux nuances marron glacé et or.
    Les petites confiseries rondes déteignaient au contact de ses mains chaudes, qu'elle essuyait rageusement sur son pantalon taché. Elle les avait toutes avalées, et son estomac au bord de la nausée ne pouvait plus contenir cet afflux gastrique aigre et sucré.
     Sa vue commençait à se troubler, ses jambes pesaient une tonne et ses muscles tétanisés rendaient sa marche douloureuse. Seule une volonté inébranlable lui permettait d’avancer, pourtant, bientôt son corps allait renoncer.
     À bout de souffle elle tomba sur ses genoux, qui s'enfoncèrent dans un épais tapis de mousse et de feuilles racornies. Sur cette couche douillette aux essences boisées et aux décors de nature morte, elle s’allongea, se recouvrant de cet habit végétal, et disparut du tableau.
     Cléa abandonnait, son cerveau était envahi d'un flou vaporeux, flottant autour de son être, elle capitula, et fut engloutie. Son corps léger flottait dans le vide, attendant la paix et le repos éternel auquel il avait droit. Elle était allée jusqu'au bout de ses forces, et avait atteint son point de non- retour. Ses yeux se refermèrent sur ce monde abject, et elle sombra dans les profondeurs du néant.
    Elle avait sucé les derniers comprimés rouges de la pharmacie de sa mère, pour échapper à son malheur, son déshonneur et aux douleurs de son entre-jambes. Fuir le foyer familial, se soustraire à son bourreau, et ne plus avoir peur des nuits où la porte s'ouvrait sans bruit.
Seules ses baskets grises dépassaient de sa litière colorée, à l'odeur d'amande amère. La chaleur de l'été indien, et la pluie de la nuit avaient favorisé la pousse du roi des champignons, le Cèpe.
      Au loin, les jappements joyeux d'un chien jouant dans la clairière, se firent entendre. Un vieil homme muni d'un bâton, arpentait la chênaie, panier au bras et couteau dans la main.
       L'animal flairait et reniflait, son maître retournait la terre et les feuilles du bout de sa canne.  Consciencieusement le promeneur, avec son Laguiole sectionnait la queue des cèpes, et en remplissait son panier d’osier.
       La cueillette était belle et parfumée, et sa panière était pleine aux trois quarts. L'homme rebroussa chemin, lorsque les aboiements de son fidèle compagnon l'avertirent d'une découverte. Du bout de son bâton, le cueilleur dégagea fiévreusement les feuilles mortes et les branchages, et découvrit le corps inanimé de l'adolescente.
       Tout s'enchaîna très vite, l'appel aux secours, les lumières multicolores du SAMU et le transport à hôpital toutes sirènes hurlantes.
Le brave homme tout ému de son sauvetage, heureux de lui avoir sauvé la vie, pensa à la chance qu'elle avait eu d'être découverte par son chien.
        « Debout la vie », être encore vivante demain pour subir encore son calvaire, son réveil allait être brutal quand elle rouvrirait les yeux, sur le visage bienveillant de son agresseur.
        Sans le savoir le ramasseur de champignon l'avait rejetée dans la gueule du loup, et elle allait le maudire et le haïr pour le restant de sa vie.






Retrouvez cette nouvelle dans Contes de L'Obscur.







                 L'ITALIE  sept 1968
                              Caro Diario  

Le dragueur de RIMINI « PIERO »


Maman avait tenu sa promesse, on était en Italie, et pour moi ce fut un choc,
Car pour la première fois, j’ai ressenti une émotion pour un autre pays que le mien.
D'abord, il y avait cette langue que je ne comprenais pas,
Mais la musique qu'elle faisait quand les italiens la parlaient
Et leurs mains toujours en mouvement m’amusaient.
Il y avait aussi les monuments, l’opéra, la peinture, la cuisine, et les  FIAT Cinque Cento.
J'éprouvais un bien-être immense dans ce pays que je ne connaissais pas.
Je me sentais chez moi, sur la plage, allongée sur ma serviette,
Vêtue d'un maillot de bain en vichy à carreaux jaune et blanc,
Je lézardais au soleil, Philippe et Michel jouaient devant moi,
Maman assise sur sa serviette se reposait du voyage.
Un garçon s’arrêta devant moi, me cachant le soleil,
et je lui dis d'un ton plein de moquerie,
« Je veux la paix », et le traite de "DRAGUEUR"
Il repart demander à ses amis ce que cela veut dire,
Revient, et me dit que ses intentions sont sérieuses,
me demande d'aller danser avec lui le soir.
J'ai dix-sept ans et demi, et je ne suis pas intéressée, alors,
Pour m'en débarrasser, je lui dis de demander à ma mère,
qui je pense va l'envoyer balader
Mais là, OH surprise, maman dit OUI .Les bras m'en tombent.
Et ce fut la première personne qui toucha mon cœur et qui envahit ma tête
Mais je ne le savais pas ou je ne voulais pas le savoir.
Mais ma ligne de conduite  n'allait pas changer,
Malgré son charme, son intérêt pour moi, son accent italien craquant,
Je ne voulais pas ouvrir mon cœur, ni lui donner mon corps,
Il était dans ma tête, mais ma porte était  fermée.
Nous nous sommes fréquentés trois ans,
avec des voyages à Rimini trois étés en famille pour moi.
Et lui, de son côté, venait me voir en France tous les trimestres.
Maman était aux anges, un bon parti, riche, beau garçon, une Porsche,
Sept ans de plus que moi, pas un gamin,
un seigneur, que demander de mieux pour sa fille.
Mais ma tête, mon cœur, et mon corps étaient malades,
Alors, quand pour moi ce fût le moment de m'engager,
Et sentant arriver cette promesse d'amour, je l'ai laissé partir loin de moi, 
Je ne me suis pas retournée, la fuite me semblait la meilleure solution.
Je n'avais pas pu ouvrir ma porte, j'avais perdu la clef,
j’aime Italie et je l'aimerai toujours.
J’ai du bonheur chaque fois que j'y retourne.
Il y a là-bas quelque part une partie de ma jeunesse,
Cheveux au vent en décapotable sous le ciel d’Italie,
Qui pour moi aura toujours une autre couleur.
Je sais maintenant qu'un morceau de mon cœur est resté là-bas à jamais.
Mais j'avais eu tellement d'amour de la part de mon père,
Que je n'arrivais pas à faire le deuil de la perte de cet amour filial,
Et il n'y avait pas de place pour quelqu'un d'autre, il fallait que je me construise,
Il fallait que je guérisse, si un jour je le pouvais, et cela n'était pas sûr,
Mais j'avais besoin de beaucoup de temps.
Merci à Maman pour toutes mes vacances avec elle en Italie,
Et de tous ses souvenirs que j'ai dans mon cœur.








Francesca da Rimini and Paolo Malatesta







      Retrouvez cette nouvelle dans "Des Mots pour mes Maux et souvenirs"

                 






           


                      L' ÉCONOME

            Elle ouvrit la porte de son appartement, les bras chargés de provisions qu'elle rangea consciencieusement dans le placard de la cuisine.
      Elle commença la préparation du repas avec la même énergie de tous les jours, en s’appliquant à l'épluchage des légumes, faisant les épluchures les plus fines possible avec son économe qui lui venait de sa mère.   
          Souvenir d'une enfance ou les denrées alimentaires les plus indispensables manquaient. Ne pas gaspiller, était la règle d'or de sa mère, savoir faire des économies pour arriver à boucler les fins de mois.
             Depuis un an, elle s' imposait cette règle, ne pas dépenser, économiser sou par sou afin de se faire une cagnotte secrète.  Elle resquillait sur la nourriture, les charges du ménage, visitait parfois les poches des voisins et relations, afin de faire "gonfler son bas de laine"  suivant l'expression favorite de sa mère.
              Elle n'avait rien changé à son attitude, toujours gracieuse, dévouée envers son machiste de mari, qui la cantonnait dans un rôle de bonne. Du matin au soir, il l'insultait, l'humiliait et la mettait plus bas que terre.
       Elle n'était qu'une femme battue, son âme portait les stigmates de ces brimades, et ses rides, elle les avait sur son cœur. Elle l'avait supporté durant tant d'années, sans mot dire, et, un matin, au réveil, une nouvelle femme était née.
           À l'arrivée de ses cinquante ans, une page se tournait, sa jeunesse se fanait comme les feuilles en automne et une petite voix lui disait.« pars, sauve-toi, tu meurs.» Sa décision était prise, elle allait fuir avec son bas de laine, quitter cette vie de femme harcelée, dévalorisée, terne et sans attrait, partir sans rien dire et tout laisser derrière elle. Tout faire pour disparaître, sans que l'on sache, si elle était vivante ou morte.
            Depuis longtemps, elle faisait partie des meubles, son absence ne se remarquerait pas, tant qu'il y aurait à manger dans le frigo et du linge propre dans l'armoire. Elle partirait un matin, après le marché, laissant les légumes à demi épluchés sur un journal abandonnés sur la table de la cuisine, en compagnie de son économe.
          Personne ne saurait, une ménagère qui disparaît mystérieusement pendant la préparation du repas, ne ferait pas longtemps la une des journaux et serait vite oubliée.
          La valise était prête sous le lit depuis des semaines, le bas de laine cousu dans les ourlets de ses vêtements et les petites coupures, dans la ceinture qu'elle portait à la taille. Le billet de train sans retour, dans son sac à main, avec une nouvelle identité usurpée. Elle partait pour sa nouvelle vie, faite de soleil et de mer, libre de tout harcèlement moral, qui la détruisait chaque jour un peu plus.
         Elle lança un dernier regard à la table de la cuisine, à son économe abandonné là, sur les épluchures, prit sa valise, son sac et son courage à deux mains puis, Elle quitta la pièce, sans même se retourner.»

 



                   Retrouvez cette nouvelle dans mon recueil "A L'ABRI DES REGARDS"
 http://www.edilivre.com/a-l-abri-des-regards-20a5b6563a.html#.U6rxasuKCUk



vendredi 29 septembre 2017

           
               Caro Diario       




        Ma ville notre terrain de jeux

                       
                   Le Puy-en-Velay 1956

    
     Ville de notre enfance, formidable, magnifique, parfaite pour des enfants et pour y vivre.
Ni grande, ni petite, pleine de ruelles étroites comme des coupe-gorge.
      Enfant, on pouvait jouer dans toutes ces rues,
Elles étaient tellement étroites que les voitures ne pouvaient pas y passer.
     George Sand avait raison, ville pittoresque et moyenâgeuse.
On n’en connaissait pas tous les noms,
Mais on les avait toutes parcourues, un jour ou l'autre.
     Partout, dans chaque recoin, il y avait de quoi faire nos jeux,
De bandits de grands chemins, de chevaliers,
De voyous, de soldats, et de  princes et princesses,
Tous les personnages y étaient possibles.
Toute la journée, des bandes de gamins
 Couraient dans tous les sens de la vielle ville, la ville haute.
On attaquait la vierge sur son rocher, et on se battait à l'intérieur de son ventre.
On donnait l'assaut au rocher Saint-Michel, en montant les deux cents soixante-huit marches.
 En passant par les escaliers de  la place du Clauzel,
 On empruntait le couloir traversier de l'imprimerie .
Au passage on fouillait les poubelles pour prendre les petites plaques de moules, 
 Coulées d'un alliage étain-plomb formant une ligne-bloc d'un seul tenant.
Elles avaient encore des caractères d’imprimerie,
On s'amusait à les déchiffrer comme si c’était un code secret.
On ressortait par la rue du Bouillon pour accéder à la montée de la cathédrale,
Et à la pierre des fièvres, on se couchait dessus et on faisait le mort.
On se cachait à l'intérieur de la basilique et même parfois dans les confessionnaux,
D’où le prêtre nous chassait en courant, en soulevant sa soutane pour ne pas s’affaler.
Et il nous maudissait de toutes les flammes de l'enfer.
La ville était comme un château,
Et nous, on en était les habitants et ses défenseurs.
Et tous, on aimait notre ville.
Notre Puy-en-Velay.
Et je pense que j'y retournerai un jour pour y vivre à nouveau.





Pierre des fièvres





« Rien ne peut donner une idée de la beauté pittoresque de ce Bassin du Puy ;
Ce n’est pas la Suisse ; c’est moins terrible ; ce n’est pas l’Italie ;
C’est plus beau ; c’est la France Centrale avec tous ses Vésuves éteints ;
Et revêtue d’une splendide végétation…La Ville du Puy est
Partout pittoresque ; c’est encore une Ville du Moyen Age »
George Sand dans : le Marquis de Villemer.





          Retrouvez cette nouvelle dans "Des Mots pour mes Maux et souvenirs"

   
       


             LA DENTELLİÈRE


      Les soirs d’hiver chez Marie-Jeanne et sa mère dans la haute ferme, il y avait « La Veillée » L’unique pièce de la bâtisse servait pour manger et dormir, les voisines venaient faire Couvige, conter les histoires du village et gagner leur pain en façonnant leur dentelle.    Toute la soirée, le Chaleil, petite lampe à huile posé derrière le Doulhi remplit d'eau, diffusait sur leur ouvrage une pâle lumière blanche. Les dentellières faisaient danser leurs fuseaux en buis sur leurs carreaux et enroulaient au fur et à mesure leurs dentelles autour de leurs plioirs en bois sculptés, par leurs amoureux.
      Les deux femmes attendaient avec impatience leurs voisines pour la veillée et faire la dentelle, leur seul moment de bonheur de la journée. Elles étaient là, toutes générations confondues, leurs carreaux sur leurs genoux et les pieds posés sur une chaufferette, avec sur leurs têtes la coiffe blanche du Velay. Dans la cheminée suspendu à la crémaillère, un gros chaudron en fonte noire brouillonnait en exhalant un fumet de soupe au lard et de saucisses. La vieille horloge comtoise posé sur la terre battue à côté de la cheminée dirigerait par son tic-tac la danse des fuseaux. Marie-Jeanne avec les quelques sous qu’elle allait gagner broderait son trousseau et s’achèterait une belle paire de sabots.
      Son parâtre n’était pas encore rentré de sa soirée de beuverie à la taverne du village, alors, toutes étaient détendues et satisfaites de leur ouvrage. La veillée finirait dès que la mère ferait signe de l’arrivée du mari et chacune regagnerait son logis. La vie des deux femmes étaient dure, levées à six heures pour la traite des vaches, remplir les mangeoires, sortir le fumier leur prenaient toute la matinée.
       Lui, cuvait encore son vin que les deux femmes étaient déjà à la préparation du repas, la lessive et toute la journée il fallait garnir de bois la cheminée. L’après-midi, c’était les travaux des champs en gardant les vaches, le soir préparer le potage et travailler à la dentelle. L’homme se levait à midi, criait et cognait les deux femmes qu’il traitait de fainéantes, puisait dans leurs économies et prenait la direction du village jusqu’à l’auberge pour faire ripaille.
      À Chaque retour du hameau il était « en ribote », l’excès de bonne chère et de boisson ne faisait qu'augmenter son courroux envers les deux femmes. Pour leur défense, elles avaient dissimulé dans tous les recoins de la ferme des fourches afin de le tenir en respect et le repousser. La mère alla se coucher heureuse, demain pendant une semaine son époux partait à la ville pour acheter des veaux, elles seraient seules et enfin tranquilles. Marie-Jeanne remplit une écuelle de soupe qu’elle plaça dans l’écurie pour nourrir le chien et allât se mettre au lit.
   Au matin, vêtu de sa blaude bleue, d'un chapeau en feutre au large bord, le marchand de bestiaux, son bâton à aiguillon dans la main, monta dans sa carriole tiré par un puissant percheron, sans même jeter un regard aux deux femmes.
     Marie-Jeanne commença sa journée de travail dans l’étable en appelant par leurs noms les vaches qui se levèrent au son de sa voix. Le chien les pattes dans sa gamelle lui fit comprendre qu’il avait encore faim. Elle remarqua que la litière des bêtes avait été changée, le fumier sorti et la crèche remplie de foin. Elle pensa que la mère avait avancé le travail sans elle et commença la traite du matin. Les journées passaient et tous les jours il y avait moins de labeur à l' étable, les deux femmes me comprenaient pas d’où leur venait cette aide inespérée.
     Un matin devant la porte, la réserve de bois était empilée, Marie-Jeanne courut vers l’étable et là, la tâche était faite. Le chien était toujours autant affamé et réclamait encore plus de pâtée. Elle comprit, quelqu’un mangeait la pitance du chien et une personne invisible les aidait.
     Le matin, en plus de la soupe du chien, Marie-Jeanne maintenant portait un pot de bouillon et un morceau de lard, qu’elle déposait sur la partie haute du fenil. Par une échelle de meunier, on accédait à la grange, où la réserve de foin et de paille était empilée en vrac, bien au sec à l’abri des intempéries.
     Si l’hôte mystérieux ne voulait pas se montrer, par sa besogne il payait sa nourriture alors, elles respectaient son choix, il devait avoir ses raisons. Pour les femmes, c’était une bénédiction d’avoir une aide aussi précieuse, depuis que la mère s’était remariée, leur vie était un enfer, faite de corvées et brimades. Après la foire, le mari allait réintégrer ses pénates et tout serait comme avant.
     Les soirées de veillée étaient attendues pour toutes ces paysannes, en faisant leurs dentelles, elles avaient des nouvelles de tout le canton, comme si elles lisaient le journal, les futurs mariages, les décès, les naissances et l' arrivée des colporteurs. Elles apprirent que les gendarmes recherchaient des déserteurs dans la commune, de pauvres garçons que la guerre avait brisés et elles comprenaient leur peur. Toutes avaient perdu, un frère, un fiancé, un mari  et la soirée se finissait par le potage du soir.
     Ce bonheur serait de coute durée, demain leur bourreau faisait son retour, et leur malheur recommencerait. Le lendemain, le maquignon revenant du foirail, ivre de colère et d’alcool entra dans l’étable pendant que Marie-jeanne montait à l’échelle pour poser le pot de bouillon. Elle entendit derrière elle, les cris de son parâtre, elle monta précipitamment sur le plancher de la grange pour lui échapper, il lui emboîta le pas. L' homme aviné, une chopine de vin dans la poche, arriva en haut de l’échelle, essaya d'attraper la jeune fille par le bas de son jupon en criant qu’il allait la tuer.
      Sorti de nulle part, un jeune homme en guenilles se dressa devant lui avec une fourche en bois dans les mains, repoussa l’échelle et le beau-père tomba comme une masse la tête première sur le dallage en pierre noire de l’étable. Il était là étendu sur le sol, la tête fracassée dans une mare de sang , dans ce silence de mort, seule l'odeur du vin rouge et de purin flottait dans l'étable trahissant la tragédie qui venait de ce jouer. Leur sauveur, jeune et robuste était leur hôte mystérieux, il avait deviné l'arrière-pensée de l’ivrogne et avait agit en conséquence avant que le drame se produise.
     Pendant sa courte présence chez les deux femmes, il avait assisté à leur malheur et avait apprécié la soupe et leur discrétion. Il avait horreur de la guerre, mais ce n’était pas un déserteur, seulement un soldat laissé pour mort, brisé par les conflits aspirant, se reposer avant de rentrer chez lui. Dans sa tête résonnait le tir d' artillerie, ses entrailles frémissaient encore de peur et de faim et l’odeur des corps en putréfaction le poursuivait.
    À chaque minute de sa vie, la mort de ses camarades de combats tombés dans les tranchées, était toujours palpable dans son esprit. Son seul souhait oublier la chair à canon, redevenir paysan et homme de la terre, revoir sa mère et sa sœur, qui le croyaient mort. Il allait partir rejoindre sa famille et quand tout serait fini, si Marie-Jeanne avait terminé son trousseau et n’avait pas d’autre promis, il lui ferait sa planchette à dentelles, comme le font les galants pour leur dentellière.
     En partant il s’arrêterait à la gendarmerie pour leur dire qu’un fermier éprit de boisson était tombé d’une échelle dans sa fosse à purin, à la haute ferme, elles ne seraient pas inquiétées. Elles étaient libres de vivre enfin sans peur ni crainte du lendemain. Marie-Jeanne allait compter les jours et guetter son retour, comme toutes les dentellières, elle aussi aurait son plioir en gage d’amour, elle était devenue sa promise.
    Il avait tué pour elle, c'était la plus belle preuve d'amour au monde à ses yeux.





         Retrouvez cette nouvelle dans mon recueil "A L'ABRI DES REGARDS"
 http://www.edilivre.com/a-l-abri-des-regards-20a5b6563a.html#.U6rxasuKCUk

jeudi 28 septembre 2017



18 juin 2013

LE CHABANOU


      Ce matin-là devant la tombe de ma mère sous un soleil de plomb, je regardais fixement l'ouverture du caveau familial.
      Demain, maman allait rejoindre sa dernière demeure, et le fossoyeur, burin et maillet en main, descellait la lourde trappe de granite gris.
        À l'ouverture du tombeau, une odeur de putréfaction, enfermée depuis plus de trente ans, s’échappa, nous arriva en plein visage et me fit reculer d'un pas.
       Je ne me reconnaissais pas, absente, froide et détachée de tout sentiment. Je restais là figée, les bras ballants, bouche bée, devant ce spectacle qui s'offrait à moi.
       Je ne comprenais pas et ne pouvais pas croire ce que mes yeux voyaient. Dans un brouhaha confus venu de loin, je compris enfin ce que me disait l’employé des pompes funèbres. La place de ma mère était prise, la sépulture était pleine.
     Horreur, stupéfaction, incompréhension, un squatter, un intrus avait pris la place de ma mère, comment cela était-il possible? Je passai ma tête dans l'ouverture obscure de la cavité, sous le faisceau lumineux de ma torche, je vis apparaître son corps momifié dans une housse déchirée, allongé dans son cercueil pourri.
           Dans un sursaut de rage, de colère, je me mis à chercher sur la stèle une indication sur l’identité de cet importun personnage. Je vis, posée au sol, une discrète plaque de marbre noir, avec un nom inscrit sur une bandelette de métal cuivrée, « CHABANOU », c'était donc notre homme.
       Pas un instant je n'ai éprouvé de la compassion ni de l'indulgence pour LE CHABANOU, la seule chose à laquelle je pensais, c'était faire de la place à maman pour son premier jour de repos éternel bien mérité.
     Avec l'énergie du désespoir, et l'aide du fossoyeur, je sortis une à une les planches pourries de la bière, et l'enveloppe avec le corps desséché fut calée entre l'espace libre des deux rangées de cercueils.
          Puis à coups de pied de toutes ses forces, le croque-mort le fit descendre de quatre étages et toucher le fond, où il disparut dans la pénombre. Une fois notre forfait accompli, un sentiment de honte m'envahit, ce pauvre homme posé le cul entre deux chaises au fond du trou, sans son cercueil, quand même j'avais honte de moi.
       Ma mère, qui avait le cœur sur la main, recueillant chiens et chats errants, femmes et progénitures mises à la porte de leur domicile, et qui tous les Noëls mettait l'assiette du pauvre, allait se retourner dans sa tombe, suite à notre sacrilège.
           Mais comment faire, l'enterrement était programmé le lendemain, c'était elle ou lui, et j'ai choisi, la meilleure place pour elle. Les mois ont passé et à ce jour Le Chabanou est toujours dans les bas-fonds de la fosse et la cohabitation avec ma mère se passe bien.
        Il avait été enterré dans notre caveau « parce que l'on ne savait pas où le mettre, bien qu'il n'en ait pas le droit », écrit textuellement sur l'acte de la concession de l'état civil à la mairie, c'est invraisemblable cette histoire quand j'y pense.
         À toutes mes visites à ma mère, il m'arrive souvent dans mes prières d'avoir une pensée émue pour lui, seul, oublié de tous dans un entourage hostile.
        Avec le recul, je suis certaine que cela aurait bien fait rire ma mère, qui avait le sens de l'humour, sauf que moi, ce jour-là, je n'ai pas ri du tout.




                            Retrouvez cette nouvelle dans Contes de L'Obscur.

dimanche 24 septembre 2017


           






                          L'AMANT


            Derrière les grilles de la fenêtre, la lumière du jour filtrait sous les persiennes et le pépiement des oiseaux annonçaient à Julie que le moment était venu de sortir du lit. C'est sur la pointe de ses pieds nus, qu'elle quitta furtivement la chambre à coucher de son amant. Elle regagna son lit pour y finir sa nuit seule, mais le cœur joyeux, juste deux petites heures à attendre et elle le retrouverait dans la salle à manger pour le petit déjeuner. Depuis un an, elle passait toutes ses nuits blottie dans ses bras, mais au petit matin elle devait les quitter et disparaître. Julie avait cinquante ans, bien qu'étant en parfaite santé elle avait intégré cette maison pour vivre son histoire d'amour.
       Comme tous les matins, elle se prépara avec soin, son élégance dénotait dans cette ambiance de vieillards malades aux comportements énigmatiques. Comme si elle était à l’hôtel, elle s'installa à sa place devant un copieux déjeuner, en disant bonjour de la tête aux pensionnaires, qui ne prenaient même pas la peine de lui répondre.
        À huit heure pile, Julie le vit arriver, vêtu d'un costume clair, grand, mince, il était beau et séduisant et ne faisait pas ses soixante ans. Après une longue hésitation, il choisit de s'assoir à côté d'elle en la saluant de la tête. Il croqua avec appétit son croissant comme si de rien n' était, but son café d'un trait en laissant traîner son regard sur le visage et la silhouette de Julie.
       Dans ses yeux il eut soudainement un éclair d'intérêt et de curiosité pour elle et entama la conversation. Une fois le contact établi entre eux, c'est d'un pas alerte qu'ils quittèrent la salle à manger, pour s'installer dans les fauteuils confortables du salon des visiteurs.
        Comme un gentleman il commença une cour pressante et démodée, qui ne la gênait pas le moins du monde. C'est ensemble qu'ils prirent le repas de midi, lui ne pouvait s’arrêter de parler, elle le regardait et l'écoutait en buvant ses paroles, attentive et subjuguée.
       L'après-midi, ils ne se quittèrent pas d'une semelle et le passèrent en discutant et en jouant aux cartes. Pour le repas du soir c’est naturellement qu'ils s'assirent à la même table face à face. Sous la table Julie sentit, les pieds actifs de son compagnon cherchant les siens, son cœur s'accéléra aux contact de ce frôlement.
      Après le souper, bras dessus, bras dessous, ils cheminèrent dans le sentier de la roseraie du parc, où l'odeur des fleurs embaumait cette chaude soirée d'été. Ils regagnèrent la chambre de l'amant et le feux d'artifice commença pour eux.
      Blottis l'un contre l'autre dans lit, il lui murmurait des mots d'amour au creux de l'oreille, doux comme du sucre d'orge quand il coule dans la gorge. Puis quand le sommeil les prit, ils s'endormirent enlacés jusqu'au petit matin.
     À six heures pile, comme à son habitude Julie, quitta sur la pointe des pieds la chambre de son amant pour regagner la sienne et y finir sa nuit. Le matin avec la même application elle se maquilla  avec soin et mit une robe d'un rouge vif afin qu'on la remarque de loin.
     À huit heures pile, déjà en place devant son petit déjeuner, Julie le vit arriver dans son costume et chercher d'un regard hésitant et perdu une place pour s'assoir. Après l'avoir repéré, il s'assit à côté d'elle et la salua poliment de la tête, comme une personne étrangère. Il croqua dans son croissant comme à l'accoutumé, but son café d'un trait, et ses yeux se posèrent sur le visage et le reste du corps de Julie et son regard s'éclaira d'un coup.
      Le même scénario de la veille et l’avant veille se déroula, la discutions dans les fauteuils du salon, les repas pris ensemble, la partie de cartes, la promenade dans le parc et la nuit d'amour. Au matin sur la pointe des pieds Julie regagnant sa chambre sous les yeux bienveillant du personnels médical. Tous les matins son mari l'avait oublié, au petit déjeuner il la courtisait à nouveau pour ensuite oublier son existence pendant son sommeil.
       Durant les heures du matin, il la séduisait comme à leur première rencontre et tous les soirs il l'aimait comme durant leur nuit de noce. Elle savait que la maladie d’Alzheimer qui avait touché son mari précocement irait de pire en pire, mais tant qu'il l'aimerait dans la journée, elle serait à ses côtés. Elle avait peur de lui survivre, de vivre sans lui et de la solitude.
      Depuis quelques semaines elle portait au doigt un gros cabochon dont le chaton s'ouvrait sur le dessus, rempli d'une poudre blanche et mortelle. Au moment opportun, blottis l'un contre l'autre, ils s'endormiraient pour un long voyage sans retour. Vivre une passion qui ne s'essouffle pas, était une compensation miraculeuse et elle voulait en profiter jusqu'au point de non retour.






Retrouvez cette nouvelle dans mon recueil "A L'ABRI DES REGARDS"
http://www.edilivre.com/a-l-abri-des-regards-20a5b6563a.html#.U6rxasuKCUk